[...] la rouelle est le symbole sacré le plus répandu et le plus fondamental de l'Europe pré-chrétienne. Sa signification est pourtant aujourd'hui le plus souvent ignorée. Essayons de comprendre. La rouelle est un symbole antérieur même à l'époque celtique de la Gaule et du reste de l'Europe : les sites de l'âge du bronze (2000 - 800 av. J.-C.) en livrent déjà une quantité notable. C'est pourtant à la fin de la période celtique puis à l'époque romaine que la présence des rouelles s'intensifie partout en Gaule. Elles sont découvertes le plus souvent en contexte sacré, dans des sanctuaires ou des sépultures, parfois dans des lieux plus anodins. Leur forme circulaire renvoie au soleil et effectivement, de nombreux indices montrent qu'il s'agit sans aucun doute d'un symbole solaire : la rouelle est souvent associée à d'autres symboles du même type dont la signification est claire, [...] Symbole solaire, la rouelle renvoie aussi à la conception que nos ancêtres avaient de l'espace. En effet, pour les anciens Celtes, l'univers s'organise autour d'un axe central, un arbre mythique qui soutient le firmament et joue le rôle de l'essieu autour duquel tourne la roue céleste, entraînant avec lui les astres. L'arbre est bien entendu l'équivalent de l'Yggdrasil des anciens Germains. [...]On comprend bien également pourquoi les Celtes offraient souvent des rouelles aux divinités en les suspendant à des arbres : certains arbres sacrés étaient réputés abriter des dieux et participer de l'ordre du cosmos ; offrir une rouelle, c'est participer au maintien de cet ordre et s'assurer en retour la bienveillance de la divinité. [...]A l'époque gallo-romaine, la rouelle connaît un succès constant, elle est alors souvent associée à Taranis-Jupiter, comme elle l'était d'ailleurs déjà au IIème siècle av. J.-C. sur le chaudron de Gundestrup [...] : elle symbolise alors la foudre du dieu céleste, garant de l'ordre cosmique. Cette figure est restée extrêmement vivace : elle est très fréquemment représentée sur les objets votifs, [...], et apparaît régulièrement comme l'attribut que le dieu tient dans sa main, qualifié alors traditionnellement de Jupiter (ou Taranis) à la roue. En somme, la rouelle est comme un condensé de théogonie celtique. On comprend mieux pourquoi la croix chrétienne, curieux symbole si l'on y songe bien et surtout, parfaitement ignoré des chrétiens des trois premiers siècles, eut un tel succès et prit l'importance que l'on sait dans la nouvelle religion, quand elle devint européenne. Ainsi, nos campagnes, comme ici en Bourgogne, mais aussi nos édifices religieux, offrent encore abondamment à la vue cet antique symbole sacré, dont la valeur patrimoniale et spirituelle paraît inestimable ; la rouelle, devenue "croix celtique", parsème les paysages de l'Irlande. De sorte que porter une rouelle autour du cou, en accrocher une sur le mur de sa maison, c'est devenir l'héritier d'une tradition dont les origines se confondent avec notre histoire, en particulier lorsqu'on descend de ces Gaulois qui, au tournant de notre ère, en firent le symbole même de leur identité et le signe patent de leur attachement à l'ordre du monde et de leur vif désir de s'opposer au chaos.
Amaury Piedfer.