

En voici quelques extraits :
Il circulait pas mal d'histoires sur la synagogue de Mogilev. Nous sommes allés la visiter. (...) Les murs sont en bois, des madriers de chêne qui résonnent quand on les frappe. Au-dessus des murs, un plafond pareil à une tente, fait de planches. Les jointures toutes apparentes. Aucun leurre, aucune fantaisie, tout le travail du charpentier est visible en surface, mais le corps entier de l'ouvrage est si bien recomposé par le peintre, si saturé de quelques couleurs élémentaires, que tout un vaste monde vit ici, s'épanouit, et emplit ce cube pourtant pas si grand. Tout l'intérieur de la synagogue est décoré, depuis les dossiers des bancs alignés tout au long des murs, jusqu'au faîte de cette « tente ». La synagogue, carrée à la base, se transforme en un plafond octogonal en forme de tente, ressemblant tout à fait à une calotte rabbinique. Des panneaux triangulaires aux quatre coins masquent la transition du carré à l'octogonal. Ces murs et ce plafond sont distribués avec un prodigieux sens de la composition. C'est un art qui est tout l'opposé du primitif, c'est le fruit d'une grande culture. D'où vient cette culture ? Le maître de cette ½uvre, Segal*, dit dans son inscription, d'une inspiration élevée... « Il y a bien longtemps que j'erre en ce monde vivant... » (...) Ce trésor de formes, chez le peintre, est inépuisable. Et l'on voit bien que toute cette richesse se déverse à profusion comme d'une corne d'abondance, et que la main du virtuose jamais ne se lasse ni n'est en retard sur le flot rapide de la pensée. Derrière l'arche sainte, j'ai découvert la première esquisse tracée au pinceau, l'« ébauche » de l'½uvre entière, ce qui sert de base à l'élaboration ultérieure en couleurs. Cette ébauche est brossée sur le mur par un artiste d'une extraordinaire maîtrise, dont le pinceau est parfaitement soumis à sa volonté.
La couleur de la peinture — ambre et perle, avec des étincelles rouge brique. Elle est insaisissable. (...) La peinture, avec toute sa transparence, est en fait très épaisse, chargée en couleurs lourdes : ocre, blanc de plomb, cinabre, vert — et très peu de tons froids, bleu et violet.
Mais d'où surgit ce flot ? Où ce nuage s'est-il abreuvé pour se déverser ainsi en une pluie si merveilleuse ? Laissons les chercheurs fouiller et explorer cette mer qu'est l'histoire de l'art, pour moi, je ne peux que vous faire part du fait suivant que j'ai pu observer. Dans une synagogue se trouve toujours une petite bibliothèque. Sur les étagères des vieilles synagogues sont rangés des traités talmudiques et autres livres pieux – des anciennes éditions, aux frontispices richement ornés, illustrés de quelques vignettes et gravures en cul-de-lampe. Ces quelques pages jouaient en leur temps le même rôle que les revues illustrées de nos jours, elles propageaient les toutes nouvelles formes de l'art. Et c'est vrai. J'ai vu un jour une stèle ornée d'un bas-relief représentant un ours debout sur ses pattes arrière et enlaçant un ornement d'acanthe fleuri.
Dans les combles de la synagogue de Druya, dans une pile de vieux livres usés et remisés, imprimés à Amsterdam au XVIe et XVIIe siècles, j'ai vu un cul-de-lampe qui reprenait le même motif, et il ne fait aucun doute que le sculpteur de cette stèle était « instruit » de cette illustration. Autre exemple, les boiseries sculptées et la composition entière de l'arche sainte à plusieurs étages, inspirée des frontispices de style renaissance-baroque des livres pieux juifs. Pour le sculpteur juif sur bois, ces frontispices servaient de modèles, de même que pour les architectes, les ouvrages de Vignola et de Palladio.
Reste la question de la dimension nationale de cette peinture. Nous la laisserons aux psychologues et aux ethnographes. Mais nous attirerons leur attention sur la parenté qui existe entre ces formes déployées avec une telle générosité sur les murs et le plafond de la synagogue de Mogilev, et les formes contemporaines d'autres nations, parenté qui oblige à une sérieuse réflexion. L'Italien Fioravanti a construit la cathédrale Uspensky au Kremlin, et son compatriote Alevisio le Kremlin. Le Phénicien Hiram a construit le Temple de Salomon. De tels témoignages, on peut en produire une infinité. (...)
Traduit du yiddish par Batia Baum